Cet article exposera quelques grands principes pour le développement d’environnement numérique en secondaire. Il est basé sur l’expérimentation et l’analyse réalisée afin de conceptualiser, modéliser, concevoir et déployer l’environnement numérique qui soutient les activités d’enseignement et la pédagogie de mes collègues dans mon établissement scolaire …

Une des premières choses à bien cerner est le projet pédagogique de l’établissement et comment les solutions techniques et technologiques peuvent le soutenir et le développer.  Il s’agit, lorsque l’on œuvre dans un établissement scolaire, de ne pas tout révolutionner ou bouleverser, mais tout d’abord d’identifier comment l’environnement numérique qui va être déployé est mis au service des orientations pédagogiques de l’établissement. Le numérique doit donc s’intégrer avant tout dans un contexte.

Ce préalable établi, il convient ensuite d’explorer l’état de l’art et d’en extraire les ressources et modèles compatibles avec le projet pédagogique et le profil de l’établissement scolaire.  Ceci signifie donc, pardon aux grands rationalistes, que chaque environnement sera adapté et donc différent d’un établissement à l’autre, et ce, même si de grandes lignes de force resteront communes, les missions d’une école ne différant in fine pas beaucoup d’une autre sur le fond mais sont d’une infinie diversité sur la forme.

Dans le cas de l’établissement sur lequel j’ai travaillé et au regard de l’état de l’art consulté, j’ai pu extraire quelques grands principes sur lesquels fonder les piliers de la porte d’entrée du numérique dans cette école. Ils pourront être adaptés également à d’autres établissements.

Parmi ces principes : les dispositifs mis en œuvre doivent permettre de développer l’autonomie. Il s’agira de penser un dispositif ouvert et non contraint pour les enseignants tel que défini par Jézégou (2005). Mais également structurant et visant l’autonomie des élèves.  Les outils déployés devront d’autre part anticiper plusieurs genèses instrumentales (cf. Rabardel, 1995). La première voulue par mes soins lors de l’implémentation des artefacts (instrumentalisation[1]) et leur instrumentation.[2] La seconde amorcée par les enseignants à la fois concepteurs et utilisateurs des outils. Et enfin troisièmement par les élèves dans le cadre de leurs apprentissages.

C’est donc une autonomie la plus large possible, mais aussi la moins contraignante d’un point de vue technologique qui est recherchée. Deux buts sont poursuivis par cette volonté d’ouverture : une facilitation de l’adoption et de l’acculturation aux technologies déployées, de par les possibilités de personnalisation et d’appropriation. Le second vise à ne pas limiter la pédagogie des enseignants de par des choix techniques limitant et peu interopérable. Il ne devrait pouvoir n’être admis nulle part que la pédagogie déployée par un enseignant doive se contorsionner afin de s’adapter à des limites technologiques. Si tel devait être le cas, ces solutions devraient être bannies d’environnements numériques éducatifs. A moins qu’ils ne soient les seules à satisfaire des besoins particuliers. Il s’agit donc d’être vigilant et de refuser toute approche techno-centrée, pourtant bien commode lorsque les décisions d’équipements dépassent le niveau des réels usagers.

Ensuite, les dispositifs envisagés doivent œuvrer à la facilitation de la circulation de l’information entre tous les acteurs de la Communauté éducative à savoir les membres du personnel, la direction, les élèves et les parents.

Enfin, ces dispositifs devront s’inscrire pleinement dans les choix pédagogiques de l’établissement. Il s’agira de créer un environnement riche et porteur, mettant à disposition des ressources.  L’une des clés du succès à ne pas oublier est d’y intégrer une dimension d’animation pédagogique/accompagnement pour faire émerger l’innovation au sein de la pratique professionnelle de chaque enseignant (Raby ,2004).

Dans mon cas étudié, l’option qui me semble appropriée est d’avoir recours aux pratiques tirées d’une pédagogie informelle générant des apprentissages informels que nous pouvons définir en nous inspirant de John Holt et de son « unschooling » dont les traductions françaises suggérées sont « apprentissages non formels et informels, apprentissages autogérés, apprentissages autonomes, apprentissages libres » (HOLT, 2011). D’autre part, Carré et Charbonnier (2003) ont mis en évidence le fait que la plupart des apprentissages essentiels se faisaient en dehors de lieux formels de formation. Ceci cadre bien avec notre public, des enseignants dans le cadre de leur pratique professionnelle.

Cela pourrait aussi permettre en transposant ces réflexions à d’autres établissements de rendre le véritable pouvoir aux réels acteurs du changement dans une école que sont les enseignants. Ce serait donc au travers d’échanges, de partages, de collaborations internes que les nouvelles compétences nécessaires à l’intégration du numérique dans des dispositifs d’enseignement peuvent se développer.  Il existe cependant des prérequis à cela. Une ambiance de travail conviviale, des capacités d’échanger et une salle des professeurs unie (et non cloisonnée) et une absence de peur envers la hiérarchie afin d’oser entreprendre.

L’objectif serait donc d’élargir le répertoire d’action des enseignants, en y intégrant de nouveaux outils issus du monde des TIC. Ceci en mettant en place un dispositif qui fera intégrer, progressivement, de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences professionnelles. Et comme le souligne Thurler : “C’est seulement à ce moment que les personnes concernées développeront, individuellement et collectivement, une certaine sécurité et souveraineté de la mise en oeuvre de nouvelles pratiques dans la vie quotidienne, sauront les transposer aux contextes nouveaux et imprévus”. (Thurler, 2012)

Autrement dit, amener les membres du personnel vers une nouvelle autonomie, intégrant de nouveaux apports dans leur pratique professionnelle “en établissant les formes et processus nécessaires pour permettre l’apprentissage de l’organisation afin de faciliter le changement” (Dodgson, 1993).

Cet accompagnement devrait idéalement être piloté de façon bienveillante par la direction de l’établissement ou un membre de l’équipe pédagogique désigné formellement par celle-ci.  L’objectif de ce pilotage serait alors dédié à l’entretien de la curiosité et à l’animation de la communauté face aux possibilités offertes par l’environnement numérique déployé.

Il ne s’agit donc pas de former clé en main des enseignants en experts numériques, mais d’allumer le feu qui mettra chacun dans une démarche de recherche-action visant la création par chaque enseignant de dispositifs d’apprentissage intégrant les outils pertinents. Pour cela, il est nécessaire que les enseignants puissent se réapproprier totalement leurs cours, le penser, le modéliser, le scénariser. Une démarche bien plus profonde qu’une préparation de leçon. Un beau défi à relever pour la formation initiale et continue des enseignants du 21ème siècle.

[1] Utilisation par le sujet des possibilités de l’artefact

[2] Modifications des schèmes en fonction des contraintes de l’artefact.

Bibliographie – Pour aller plus loin …

  • Carré, P., & Charbonnier, O. (2003). Les apprentissages professionnels informels. Editions L’Harmattan.
  • Cross, J. (2012). Internet Time Wiki / The Book. Récupéré de http://internettime.pbworks.com/w/page/20095947/The%20Book.
  • Dodgson, M. (1993). Organizational learning: a review of some literatures. Organization studies, 14(3), 375-394.
  • Holt, J. (2011). Les Apprentissages autonomes. Éditions l’Instant Présent.
  • Jézégou, A. (2005). Formations ouvertes. Libertés de choix et autodirection de l’apprenant. Paris, France : L’Harmattan.
  • Rabardel, P. (1995). Les hommes et les technologies ; approche cognitive des instruments contemporains. Récupéré de https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01017462/.
  • Raby, C. (2004). Analyse du cheminement qui a mené des enseignants du primaire à développer une utilisation exemplaire des technologies de l’information et de la communication en classe (Doctoral dissertation, Université de Montréal. Récupéré de https://tel.archives-ouvertes.fr/edutice-00000750.
  • Thurler, M. G. (2012). Faire apprendre l’école pour faire apprendre les élèves. Cahiers Pedagogiques, 67(500), 53-56.