Ludovic Miseur

Technopédagogue ● Ingénieur pédagogique multimédia – Mon blog

Retour d’expérience : Intégration des TIC et contours du poste de coordinateur technopédagogique au secondaire

Un retour d’expérience sur l’intégration des TIC dans la culture et les pratiques pédago-didactiques d’un établissement scolaire et les modalités de leur appropriation par les enseignants.

Accompagner les établissements scolaires comme organisations apprenantes

Afin d’œuvrer à l’intégration judicieuse des TIC dans les pratiques professionnelles, j’ai pris le parti de miser sur la force du groupe et la transformation d’un établissement scolaire en organisation apprenante.

Je prends comme point de départ, la définition de Dodgson :

Une « organisation apprenante » est une société qui construit à bon escient des structures et des stratégies, pour augmenter et maximiser l’apprentissage organisationnel” (Dodgson, 1993).

Que je complète par celle de Pawar :

« Les organisations apprenantes sont celles où l’attention des membres est de continuellement élargir leur conscience collective, leurs capacités et leur intelligence. Ces organisations sont ouvertes à la remise en cause de leurs croyances (généralement admises), structures, normes pour gagner une connaissance à mettre en action et pour partager cette connaissance avec tous leurs membres. Comme résultat les organisations apprenantes sont non seulement capables de s’adapter aux changements en cours, elles embrassent aussi les défis de l’avenir. » (Pawar, 2005)

Cependant, selon Thurler (2012), il faut adapter ce concept au monde scolaire. Elle postule que le changement passe par un “patient et long travail d’appropriation et de contextualisation des nouveaux concepts” et identifie 3 principes :

  • L’apprentissage s’effectue dans et par l’action. Notamment par une démarche empirique d’essais et erreurs. (Ce qui implique que l’on puisse admettre l’erreur et en tirer des occasions d’apprendre davantage).
  • La valeur accordée à la diversité.  Je relève : “il est indispensable que chacun (enseignants ou établissement) puisse par moment, réinventer la poudre, suivre un cheminement que nul ne peut faire à sa place”.
  • L’adhésion à l’apprentissage partenarial. “(…) la réflexion sur les pratiques, les contenus et les structures s’inscrit dans un contrat social qui fédère une majorité d’acteurs autour d’une volonté de mieux savoir et savoir-faire”.

Certains leviers sont des prérogatives propres à la Direction de l’établissement, d’autres pourront faire l’objet d’un accompagnement, notamment pour la mise en place des ressources et stratégies. C’est sur ce point que se situera mon action et que je définirai le rôle du coordinateur technopédagogique.

L’objectif serait donc d’élargir le répertoire d’action des enseignants, en y intégrant de nouveaux outils issus du monde des TIC. Ceci en mettant en place un dispositif qui fera intégrer, progressivement, de nouveaux savoirs et de nouvelles compétences professionnelles. Et comme le souligne Thurler : “C’est seulement à ce moment que les personnes concernées développeront, individuellement et collectivement, une certaine sécurité et souveraineté de la mise en oeuvre de nouvelles pratiques dans la vie quotidienne, sauront les transposer aux contextes nouveaux et imprévus”. (Thurler, 2012)

Autrement dit, amener les membres du personnel vers une nouvelle autonomie, intégrant de nouveaux apports dans leur pratique professionnelle “en établissant les formes et processus nécessaires pour permettre l’apprentissage de l’organisation afin de faciliter le changement” (Dodgson, 1993)

Je peux m’appuyer pour ce faire sur les modes de fonctionnement des équipes déjà mis en place par la Direction. Notamment via le travail en réseau à l’occasion de journées pédagogiques ou au travers des “coordinateurs par branches[1]”. Je pourrai aussi organiser des échanges et la communication entre pairs au sujet de leurs pratiques.

Posture pédagogique et définition du rôle du “coordinateur technopédagogique”

La posture pédagogique adoptée s’inspirera des travaux d’Huberman (1994). Celui-ci a travaillé les questions d’innovation et d’accompagnement de celle-ci au sein des établissements scolaires.  Il définit une aide externe à l’innovation qui doit idéalement pouvoir jouer sur 4 postures : catalyseur, facilitateur, conseil et liaison.

Catalyseur, pour permettre de faire apparaître les divergences, interpeler sur l’applicabilité, mettre en conflit sociocognitif et pousser à aller plus loin, à changer.  Mais aussi s’interroger sur l’ergonomie des dispositifs déployés, sur l’accessibilité des ressources, sur des aspects pratico-pratiques auxquels sont confrontés les apprenants.

Facilitateur, tant au niveau de la tâche par des solutions techniques, qu’au niveau de l’aide à la l’organisation et à la structuration des individus. Faciliter une relation permettant les échanges dans un climat serein et libre afin que puissent être abordées les questions, différences et conflits dans le but d’élaborer des représentations communes.

Pour la dimension du conseil, il s’agira d’aspects de l’ordre de la formation, sous des formes classiques telles que modules, tutoriels, mais surtout dans notre cas sous forme d’animation-intervention. Comme le note Huberman (1994), c’est la forme qui apparaît la plus adaptée en contexte d’innovation.

Enfin, pour le rôle de liaison, il fera appel aux ressources du Master IPM RFA[2]en terme de savoir et compétences développées afin de les importer dans l’établissement.  Il devra également créer des liens avec des ressources extérieures à l’organisme ou encore maximiser la mise en réseau, favoriser la coopération en ce compris interne. « La fonction de liaison est donc une fonction d’interface ». (Huberman, 1984).

Comme l’indique l’auteur, « certains acteurs de l’équipe innovante peuvent assurer ces fonctions eux-mêmes. Ils peuvent aussi être aidés par une autre personne de l’établissement, un coordinateur interne » (Huberman, 1984).

Le rôle du coordinateur technopédagogique s’inspirera de ces différents aspects afin de prendre « une position de médiation, une position de compagnonnage réflexif » (Huberman, 1984) auprès de la direction et des enseignants, qui sont avant tout des pairs dans mon cas.

Afin de mettre en œuvre l’animation-intervention et nourrir en contenu les membres de l’organisation scolaire, je compter créer les conditions nécessaires à ce que chacun puisse s’outiller un environnement personnel d’apprentissage.  J’ambitionne que par effet isomorphique, les enseignants pourront alors transmettre ces façons de faire à leurs élèves au travers d’échanges de nature socioconstructiviste.

L’appropriation du rôle à jouer et à définir en tant que coordinateur technopédagogique n’a pas été une chose aisée à appréhender. En effet ma position n’était au départ pas évidente. Il fallait d’une part pouvoir prendre de la distance pour pouvoir analyser la situation et assumer des décisions impactant toute l’école et d’autre part continuer à être un membre du personnel enseignant à part entière.

Cette difficulté de positionnement m’a questionné au moment de la mise en œuvre des phases 2 et 3 de mon plan d’action. Bien que le poste ait été officiellement annoncé lors de l’assemblée générale à l’ensemble du personnel, c’est à ce moment-là que les actions allaient visiblement impacter les pratiques professionnelles de mes collègues.

J’ai pu compter, pour me rassurer sur la légitimité et l’adéquation de mes interventions pédagogiques auprès des pairs, sur la Direction qui a pu comprendre mes questionnements et y apporter une réponse. J’ai été conforté dans le rôle qui s’est profilé au fur et à mesure des actions réalisées d’animateur technopédagogique de la Communauté scolaire. Il s’agit dans ce rôle d’incarner l’innovation et de se positionner comme référent, conseiller et guide auprès des pairs.

Il me faut cependant reconnaître que le fait d’être membre du personnel de l’entreprise depuis plus de cinq années et d’être l’un des enseignants expérimentateurs a été une force. En effet, depuis plusieurs années, j’ai collecté les avis, identifié le mode communicationnel non formel de l’établissement. Ceci m’a permis de les assimiler et d’intégrer presque inconsciemment l’ensemble des besoins. Ces besoins ainsi intégrés ont pu dès lors être convertis en un ensemble de choix techniques permettant l’élaboration d’un dispositif technique cohérent.

C’est également au travers des séquences de cours et des outils testés dans mes activités d’enseignement que j’ai pu collecter les retours des élèves. Ceux-ci ont permis de mettre en place facilement une approche itérative pendant la phase de déploiement des outils.  J’ai volontairement sélectionné dans mes classes des élèves « utilisateurs test » qui m’ont rapporté leurs expériences.

Aussi la solution déployée et ses 3 axes (communiquer, outiller et structurer) me semblent transposables dans d’autres contextes. La spécificité du projet est la capacité d’offrir dans les salles de classe une infrastructure technique qui prolonge dans le milieu physique l’environnement numérique. Il s’agit donc ne pas négliger l’équipement technique des salles de classe, mais surtout de ne pas s’arrêter là.  Comme le montre Raby (2004), c’est probablement une clé de l’adoption et de l’intégration des technologies. Cette intégration est bel et bien en œuvre et dépasse le stade de l’adoption chez la majorité des utilisateurs.

Je mets même en lumière chez des personnalités identifiées comme réfractaires au changement une adoption des technologies, ne fusse que pour augmenter leurs contenus de cours de manière occasionnelle.  La solution imaginée et déployée a de plus la force d’ouvrir le champ des possibles et de ne pas présenter des aspects trop rigides obligeant la pédagogie à se contorsionner pour plier aux limites technologiques.  C’est donc avec optimisme que j’observe les premiers signes d’innovation pédagogique dans les pratiques de mes collègues enseignants. 
Au final, les interventions techniques et l’environnement mis en œuvre ne sont qu’un instrument au service d’un changement de posture des enseignants. Ce changement est le prérequis vers la création de nouvelles pratiques pédagogiques plaçant plus que jamais l’élève au cœur du processus.

J’ai donc mis en place un champ des possibles, d’expérimentations et d’inventions pédagogiques. Il appartient désormais à la Direction d’en poursuivre l’animation et de favoriser le transfert d’innovation.

Mon sentiment est que la généralisation d’un tel poste au sein des établissements scolaires devrait être programmée de façon pérenne. Ma mission est d’épauler au quotidien tant sur les aspects techniques que pédagogiques des enseignants dans leur pratique professionnelle.  Cette mission rencontre un contexte politique favorable en Fédération Wallonie-Bruxelles à l’intégration des technologies dans l’enseignement. Il me semble indispensable pour cette fonction de coordination technopédagogique qu’il s’agisse d’un enseignant issu de l’établissement scolaire où il enseigne et qu’il garde une charge de cours.

 Cet article est un extrait revisité du Mémoire de stage soutenu à l’Université de Lille 1 en mars 2016

 

[1] Le coordinateur de branche est un enseignant référant désigné par la Direction afin d’animer des réunions d’échanges pédagogiques et didactiques avec les enseignants de sa discipline. Il est également responsable de la gestion du budget attribué au département.

[2] Master 2 Sciences Humaines et Sociales mention Sciences de l’Éducation – parcours Ingénierie Pédagogique Multimédia et Recherche en Formation des Adultes ( IPM RFA) organisé par l’Université de Lille.

Quelques références bibliographiques

Dodgson, M. (1993). Organizational learning: a review of some literatures.Organization studies, 14(3), 375-394.

Garant, M. (1998). Pilotage et accompagnement de l’innovation dans un établissement scolaire in L’innovation, levier de changement dans l’institution éducative, Paris : MEN.

Huberman, A. M. (1984). Du projet éducatif au plan de formation. Université d’été, Grenoble.

Karsenti, T. (2014). Modèle ASPID du processus d’intégration des technologies en éducation. Récupéré de http://karsenti.ca/aspid/.

Marton, P. (1999). Les technologies de l’information et de la communication et leur avenir en éducation in Éducation et francophonie, 27(2). Récupéré de http://www.acelf.ca/revue/XXVII-2/articles/Liminaire.html.

Pawar, M. (2005), cité par Ben Hassel, F., Mobiliser l’intelligence des personnes en milieu de travail dans les organisations apprenantes : Enjeux et défis pour la fonction RH. Récupéré dehttps://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/trav/documents/UCL_Chaire_LSM_Farid_Ben_Hassel_25_02_2010.pdf, le 19/01/2016.

Raby, C. (2004). Analyse du cheminement qui a mené des enseignants du primaire à développer une utilisation exemplaire des technologies de l’information et de la communication en classe (Doctoral dissertation, Université de Montréal. Récupéré de https://tel.archives-ouvertes.fr/edutice-00000750.

Thurler, M. G. (2012). Faire apprendre l’école pour faire apprendre les élèves.Cahiers Pedagogiques, 67(500), 53-56.

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